Manière de nous empêcher de respirer
(mais le monde POPO respire malgré tout)

— Audace et mise au point de soi ? Je dirais bien que l’audace, c’est sortir de soi. Paradoxal avec la mise au point de soi. Je te dirais bien que je n’en sais rien.

— L’audace ça serait d’arriver topologiquement à ce point topologique de ma mise au point phénoménologique.

— Tout ça m’empêche. Tout ça m’interdit la parole. Je n’y arrive pas ?

— Face à toi moi non plus. La page blanche dans ma tête face à toi, le vide, comme la neige sur le flanc des montagnes. Face à moi.

— Il paraît que je ne devrais pas me tourmenter l’esprit à cause de tout ça. Pourtant lorsque je marche j’y pense à tout. Lorsque je cuisine j’y pense à ça. Lorsque je fume j’y pense à tout ça. Lorsque. Il paraît que c’est une phase dans ma vie. Il paraît que la situation n’est pas coupable.

— Et alors ? Et alors, maintenant que c’est la foutue merde ; tu me demandes ce que je compte faire ? Et alors ! Et toi ? Notre contrat : c’est moi qui parle et toi qui nous écoute. Et alors ?

— Avec l’émotion, on ne réfléchit plus ?

— Comment tu veux me mettre au point avec l’émotion qui me déborde ? Comment tu veux que je te parle avec cette émotion qui n’est pas mienne.

— Audace et mise au point de soi ? Faut-il de l’audace pour se mettre au point avec soi-même ? Faudrait savoir ce que je me dis.

— Mon émotion est leur et pas mienne ; ils ont bien compris l’entourloupe, les salauds. Ça me torture l’esprit.

— Au risque de me répéter. Oser dire. Pouvoir agir. Seulement après vient le oui.

— Oui tu crois ?

— Et tout d’un coup, boum. Dans tous les sens. Pas d’audace de la pensée, comme une révélation, un truc qui fait boum dans ta tête ; magique, l’audace du sens. Quand tu parviens à t’extraire de toi-même, ça désoriente. Boum.

— Tu vois, je rêve aussi d’un truc qui donnerait du sens à ma vie, tu vois ? Un peu comme toi, donner du sens dans la non prévision des choses de ma vie, tu vois ? Je ne devrais pas attendre ce projet chaotique, tu crois ?

— Se remettre d’aplomb, c’était grisant. J’ai reçu un shoot de vérité. L’impression de me réconcilier avec le moi-même que j’avais oublié.

— Je rêve moi aussi d’échafauder. Aller du connu-e vers l’inconnu-e. Tous les soirs j’ai la tête dans mon rêve et j’aspire : pour trouver l’énergie de sortir du cocon. Et demain ne plus avoir peur.

— Attends. J’enrage. Il paraît que ça ne se fait pas. Que je n’aurais pas le droit de parler avec rage. Ça me colère de l’intérieur.

— Oser dire non. Seulement après vient le oui. Encore que. Parce que. Non. Parce que pas d’être. L’époque n’y est pas. Oui mais. Toujours mais. Pourquoi toujours mais ? Espoir que. Ça serait ça la mise au point de nous-même.

— Tous ces exemples dans ma tête qui plombent ; on a tous des lectures dans la tête, pour en faire quoi ? Tu penses que ça pourrait quand même inspirer mon audace ?

— Tu les comprends les signes de maintenant ? Moi je lis et j’observe. Moi je ne décrypte plus. Dans ma tête, j’essaie de les réorganiser, de les redistribuer ces signes pour donner du sens à nos vies. Comment la mise au point ?

— Créer pour ne pas oublier ceux et celles qui luttent pour de vrai loin, très loin de nous, et celles et ceux qui luttent aussi pas loin de moi. Créer pour ne pas.

— Pour de vrai, vivre. Le contexte c’est l’écriture.

— C’est tellement mon audace que je n’y parviens pas.

— Aujourd’hui c’est devenu vital pour moi. Je me demande si, un jour, je serai au point avec moi-même. Non. L’époque n’y est jamais. Parce que. Non. Toujours. Souvent. Alors mais. Mais non ! Pas de mais. Pas de non. Pas de oui mais non. Oui j'y crois ? Oui tu y crois ?

— La vie ici est trop… Il faut se contenter de… apprécier les choses… comme si on se devait d’être heureux : comme si, il était interdit de se plaindre parce que quand même (dit l’autre) moi j’ai de la chance par rapport à d’autres (dit l’autre qui n’en sait rien ni de moi ni des autres). Manière de minimiser, manière de dire qu’on n’a pas le droit à plus, nous. Manière de nous empêcher de respirer.

— J’aimerais comprendre ce qui s’écrit de ce moi qui demeure dans l’entre-deux du sable et de l’eau, à ne pas savoir si je suis solide ou liquide.

— Je n’y arrive pas. L’impression de ne pas avoir le droit. De ne pas être légitime. On parle beaucoup d’horizontalité. Ceux du haut en parlent beaucoup. Tous les soirs, j’envisage de m’exclure du contexte pour engager mon audace vers.

— J’apprécie ma chance, tu sais. Ça manque, ça me manque aussi, tu sais. Du bruit, le matin alors que tous s’en vont ; alors que moi je reste. Du bruit aussi le soir, peut-être ; souvent à cette heure je suis encore à l’intérieur de moi-même.

— Mon audace ? Questionner les histoires véhiculées qui nous parlent du monde. Interroger les phrases lisses de nos vies télévisuelles et journalistiques. Chercher les écritures qui me râpent.

— Moi je ne parviens pas à me donner le droit. Pourtant le refrain du risque on le connaît bien ; tout intégré, rien digéré. Qui parvient à ne pas digérer leur discours ? Moi aussi ? Moi non plus ?

— Il faudrait pour cela me re-désarticuler. Construire une globalité à laquelle je ne pourrai jamais accéder et dans laquelle la vie aurait du sens.

— Tu as raison. Il y a quand même un problème pratique. Un de ces problèmes dans la vraie vie qui ne trouve jamais de solution.

— Je rêve d’une complexité en mouvement, d’un sens à ma vie qui n'adviendrait que du vécu, de formes de visibilité dans le contexte du hors contexte et du réciproquement. Quand tu me regardes comme cela, j’aimerais assumer d’être incompréhensible à jamais.

— Croire que ça ne s’arrêtera pas. Que je pourrai continuer à dire. Que ma vie, c’est tout ça que j’ai choisi. Tu crois que c’est ça l’audace ?

— Je ne sais pas. J’y ai cru et non. Maintenant je devrais encore continuer à me battre. J’ose abandonner en attendant.

— S’oublier un peu avec le risque de s’oublier totalement. J’ai entamé ma mise au point dans le vivre ensemble depuis si longtemps. C’est presque drôle que tu me soumettes la question.

— Mettre à l’abandon. Mon audace. Pas oublier. Reléguer loin. Et mettre au point, faire la mise au point avec moi-même sans tout ce qui m’arrache.

— Me mettre en mouvement ? Tu crois que je n’y suis pas ? Je ne sais pas où je suis. Il faudra que je le sache pour le mouvement de moi-même ? Tu me parles d’espace à construire, pardon au pluriel tu insistes. Tu me parles d’espaces à explorer et donc d’œillères à déchirer. Tu me parles de m’aider ?

— Et si je veux, moi, rester dans mon fauteuil ? Quel mal à cela ? ça ne me gêne pour vivre ma propre audace. Je voyage dans mes mondes. Je voyage dans l’exercice de ma liberté individuelle. Que tu n’imagines pas.

— Une mise au point avec le soi-même du nous et du moi, ça serait bien. Je suis d’accord avec toi. En fait, tu as posé une question, pas une affirmation. Je suis d’accord avec toi.

— Hors de moi. Je devrais me déplacer hors de moi pour quoi ? Pour me redistribuer dans l’espace de ma vie. En morceaux, je suis et je resterai. Ardemment.

— J’invente une relecture permanente de ma vie.

— L’audace – je n’aime pas l’audace, la dangerosité de l’audace – c’est quoi ?

— J’ai peur de marcher jusque dans la rue. L’audace, le risque, je ne m’y risque plus. C’est fini. Maintenant. Qu’est-ce qui a conduit à cette situation ? Le ras-le-bol ? Laisse-moi oublier.

— Ce que l’on pourrait garder du maintenant ? T’as une recette ? Ce qui n’est pas interdit explicitement est autorisé. Oui mais faire quoi ?

— Le travail. C’[être] la faute du travail. N’y [penser] plus. Puisque bientôt je ne [penser] plus. Puisque je [agir]. Puisqu’agir comme il le [falloir]. Puisque comme ils le [vouloir]. Et je [être] au travail bien sagement. Puisque je [rire]

— Je rêve d’annexer la fiction dans la réalité. Tu penses que je me le dois ? J’aimerais conjuguer les verbes au futur et te dire que ma nouvelle vie commencera demain.

— Si je comprends ce que tu viens de m’expliquer ? Nous sommes surveillés, comptés, décomptés, répertoriés, marchandisés, nettoyés, atomisés, regroupés, anonymisés et individualisés. Si je comprends, tu attends mon commentaire. En format libre.

— La mise au point de soi, ce serait l’histoire de moi qui saurais enfin dans quels corpus je vis.

— Je [chercher] depuis longtemps le moyen de rendre l’existence risible. Je [vouloir] rire. Le mieux [être] de rire et de faire rire les autres. Pouvoir partager, le temps d’un instant, le plaisir de la vie humaine. S’éloigner de la reproduction animale pour caresser le goût de l’humain et oublier les prétentions. Ni même les ambitions. Si ce ne [être] celle de vivre une vie. Je [vouloir] continuer à respirer, à voir, à sentir. Il me [falloir] le faire en dehors de mes sens propres. Alors je [aller].

— Je n’y trouve pas ma place. J’y suis bien sagement.

— Habitude de mon quotidien. Quotidien de mon habitude. J’aimerais posséder ton imagination. L’audace, ce serait l’histoire de moi qui.

— L’audace ? Ecrire un texte où l’on s’amuse beaucoup. Ecrire un texte où l’on réfléchit vraiment beaucoup.

— Ce serait l’histoire d’une expérience du rien. L’espace du rien. Le temps d’un rien. Pour rien que le désir.

— Comment rendre cette situation risible ? Comment rendre risible le désir de disparaître sans disparaître ? Donne-moi la force de subir. Je ne sais plus où je vais, seul le rire me guide désormais. Et l’art.

— Je ne voudrais plus la beauté. Ceux qui la désignent nous délient.

— Je n’ai plus le choix. Il me faut vivre avec cela. Je n’ai plus le choix. Il nous faut vivre avec cela. Tous ces faut que nous nous imposons à cause de pas beaucoup, de ces quelques uns qui nous conduisent sur le mauvais chemin. J’aimerais atteindre le goût de l’humour.

— Passer au figuré. Passé à la figure. Figure du passé. La figure n’[exister] plus. [Rester] les images. Je n’y [comprendre] rien. Peut-être [penser]-ils au miroir ? Je [passer] par le miroir. Mon ultime audace.

— D’ailleurs je n’y comprends plus rien.

— L’audace ? Je [avoir] maintenant la solution. Je [devoir] cambrioler ; une galerie, un collectionneur, un musée, peu m’[importer]. Tu [comprendre] que la situation l’[exiger].

— Devenir ma mémoire de ce qui [être], de ce qui [pouvoir]. Ma mémoire de moi.

— Je sais, tu m’as déjà expliqué que c’était une mauvaise idée, qu’il fallait assumer son histoire. Oublier le mélange des histoires, je voudrais oublier pour enfin comprendre d’où je me parle.

— L’audace, ce serait l’histoire dingue d’une histoire qui ne serait ni artistique ni littéraire, ou les deux à la fois. Une histoire d’histoire dans deux espaces différents. Ce serait mon histoire.

— Une mise au point est impossible. Il me faudrait soit des mises au point sur les points de ma vie, soit une mise aux points. Tu sais comment je trouve le singulier dans le pluriel ? En somme comment remonter le courant de ma diffraction existentielle ?

— Je ne comprends pas ta question. Moi je ne me cherche plus. Je n’existe plus. Je suis un autre moi dirigé vers l’extérieur. Ils nous ont voulu veulent tous pareils. Tu le sais bien, surtout toi. Une enveloppe différente (plus chic, politiquement correct pour beaucoup) mais de l’intérieur tous pareils. Je ne me cherche plus. Non, je ne comprends pas ta question.

— J’aurais besoin d’une seule pièce, carrée, blanche : tout s’[organiser] autour dedans.

— De deux choses l’une : ceux qui travaillent n’ont pas le temps et ceux qui ne travaillent pas n’ont que du temps. Alors de deux choses l’une : ceux qui travaillent qui n’ont pas le temps veulent le temps qu’ils n’ont pas puisqu’ils travaillent et ceux qui ne travaillent pas ne veulent pas du temps qu’ils ont puisqu’ils veulent travailler durant le temps qu’ils ont qu’ils ne veulent pas. De deux choses l’une : soit je te réponds, soit je te tais. D’où l’évidence que ceux qui ne travaillent pas sont des chanceux et ne devraient pas se plaindre et emmerder ceux qui travaillent. Ceux qui ne travaillent pas devraient foutre la paix à ceux qui travaillent et les laisser travailler en paix afin qu’ils dépensent l’argent qu’ils gagnent en travaillant. La vie pourrait être bien fichue mais c’est toujours les mêmes qui foutent le bordel. L’audace, ça [être] d’inverser le cours des choses.

— Rien à dire : déjà dit, je viens de le dire, alors à dire rien à dire. Rien à te dire de plus. N’insiste pas, je ne dirai rien. Tu n’as pas compris que je ne peux pas ? Que ce n’est même pas la peine d’essayer parce que je ne pourrai pas me dire.

— L’écrire. L’écrire peut être mieux ?

— [Etre]-nous encore nombreux à penser qu’un artiste, qu’une œuvre d’art [modifier] une existence ? L’art ne s’[être] pourtant pas éloigné de nos vies ? [Etre]-ce nos vies qui [s’éloigner] de l’art ?

— Rencontrons-nous pourrait être une telle solution que je n’y crois plus trop. Il ne faut plus trainer à regarder le monde.

— Personne ne m’a jamais invité à parler.

— Pris au piège dès les premiers instants la micro-seconde on devine quasiment tout de suite qu’on pourra les écouter tout en parlant tout en pensant, à autre chose. Avec certaines personnes on devine tout de suite dès le premier échange que la conversation sera lente verbeuse insipide superficielle inutile. Et pourtant pour des raisons (la politesse du vivre ensemble) que sur le moment on préfère ignorer, il convient de (faire semblant de) les écouter, de (se forcer à) relancer la parole, de (s’appliquer à) confirmer les propos, d’apporter quelques mots d’assentiment. Alors dans la tête le petit vélo s’empresse de chercher des adjectifs pour ne pas endormir la pensée (gros stress et si tout d’un coup on ne pensait à rien et si tout d’un coup cet échange nous entrainait à la chute) alors on lance le travail de la pensée sur le goût des mots. Certaines personnes, parce qu’avec d’autres. Le regard peut-être. Avec elles, c’est sans doute ce qui a fait tiquer. Est-ce le regard qui conduit une conversation ? Le corps peut-être aussi parfois ? Pas nécessaire de. La politesse réserve parfois de bonnes surprises. Ta question, pourrais-tu la reformuler ?

— Personne ne m’a jamais invitée à parler.
— Personne n’a jamais invité moi à parler.

— Nous avons besoin d’audace collectivement. Tu as raison, à mon niveau il faudrait aussi. Et il faudrait que je te dise sur la mise au point de moi.

— PERSONNE N'A JAMAIS INVITÉ MON MOI À PARLER.

— Je t’explique. D’abord tu sors de chez toi. Et tu tournes à droite. Ta rue, tu la connais bien ? Tu fais quelques pas, tu marches l’œil rivé au fil de l’eau du caniveau, tu penses, tu évites les crottes de chien, tu penses, tu décomptes les chewing-gum incrustés dans le bitume du trottoir. Et ensuite on te bouscule et tu trébuches et alors tu lèves la tête. Et tu découvres un immeuble que tu n’avais jamais remarqué auparavant. Toi c’est moi maintenant que tu m’as expliqué notre situation. Laisse-moi le temps de prendre mon temps.

— Je ne sais pas. Je pense à un projet qui me tient à cœur. Pourquoi ça a commencé ? J’ai oscillé longtemps. Il vadrouillait dans ma tête depuis bien trop d’années. Je ne sais pas comment ça a commencé. J’y suis dans le temps du oui.

— Mon corps ne m’appartient pas
— Il est à eux, ceux-là
— Ceux là-bas

— La fatigue nous atteint. Même moi je ne peux plus. Je n’en peux plus de continuer. Même moi.

— Mon corps est absent
— De la douleur du présent
— De la douleur du passé
— Il est annihilé.

— Il ne faut pas trainer à agir. On dira être acteur de sa propre vie. On criera actrice, c’est mon choix.

— Je [prendre] ma décision. Ce [être] la seule solution. La meilleure solution. Personne ne [trouver] jamais une meilleure solution. Je [décider]. Il n’y [avoir] pas d’autre solution.
— Mon corps est à moi
— Je l’ai retrouvé.
— C’est une histoire de foi,
— C’est mon miroir à moi.

— Plus de différence. Je [trouver] la solution aux problèmes : ne plus avoir de problèmes. Certains [décider] de ne pas voir leurs problèmes. Moi je [décider] de les supprimer.

— Tous les soirs je regarde la Loire et j’en ai moire.